Thursday, January 31, 2013

La théorie du genre et la négation que le ciel soit bleu

Le ciel est bleu. Vous êtes-vous déjà posé la question de savoir pourquoi le ciel est bleu ? Comment fait-il pour être bleu ? Est-ce que si vous la posez à voix haute, vous risquez de voir les gens s'insurger contre une telle question ? Est-ce que l'on vous accuserait de nier la couleur bleu du ciel ?

Les études de genre ne font que se poser ce type de question. Pourquoi habille-t-on les filles en rose ? Pourquoi habille-t-on les garçon en bleu ? A-t-on toujours habillé les garçons en bleu et les filles en roses ? Se poser ce genre de question ce n'est pas nier que les garçons sont des garçons et les filles, des filles. C'est juste se poser des questions. Alors oui, il y a des réponses. Des réponses qui disent qu'on a pu donner les couleurs aux uns et aux autres. Les études de genre peuvent déduire dans un tel cas que c'est la société qui décide de marquer le genre de l'enfant en lui attribuant une couleur associée à son sexe. L'association de couleur elle-même n'a pas d'origine physique liée au sexe. On ne nie pas le sexe dans ce cas : on démontre qu'il y a des choses qu'on lui associe de manière autoritaire.
 
Macho patriarcal du XIXe siècle à l'état d'enfant. Source : Smithonian.



« Brouahaha ! Gender studies ! Brouhaha ! “Études de genre” ! Brouhaha ! Théorie du genre ! VOUS FAITES LA NÉGATION DES SEXES ! » Voilà ce que j'ai l'impression d'entendre à chaque fois, malgré tout. Les études de genre ne sont jamais cités comme telles, on les met entre guillement, ou on les appelle « soi-disant » afin de marquer que ce ne sont sans doute pas des travaux sérieux, on donne aussi le nom anglais pour marquer le côté « étranger ». Enfin, pour bien marquer que tout cela se base avant tout sur une idéologie, on parle de « théorie du genre », mauvaise traduction de l'anglais gender theory.

Et pourtant, il s'agit bien d'un champ scientifique interdisciplinaire qui observe l'identité sexuelle, sa reproduction sociale etc. Ce qui me gêne dans les attaques contre les études de genre, c'est l'interdiction donnée de se poser des questions sur le sujet, au nom de ce qui est évident. Le ciel est bleu, c'est une évidence. Doit-on s'interdire d'observer le ciel ? Doit-on refuser de comprendre pourquoi il est bleu ?

En observant le ciel, on s'est rendu compte de tas de choses. Comme par exemple que la terre tournait autour du soleil. Ça n'a pas plu du tout à certains. Pour beaucoup il était évident que la mécanique céleste reposait sur le géocentrisme. Pour le prouver on s'appuyait sur d'anciennes observations et des croyances religieuses. Les gens qui s'attaquent aux études de genre aujourd'hui font la même chose : nier des observations scientifiques récentes pour rejeter les analyses qui en découlent.

Pour critiquer une théorie physique, vous devez faire de la physique. Pour critiquer une théorie des sciences économiques, vous devez faire des sciences économiques. Pour critiquer une théorie issue des études de genre, vous devez faire des études de genre.

7 comments:

  1. Ce qui me gêne personnellement dans les gender studies, ce n'est pas qu'elles posent de nouvelles questions sur de vieux objets, mais plutôt qu'elles aient tendance à ressasser les mêmes réponses sous couvert de poser de nouvelles questions. Très bien de dire que le fait d'habiller les garçons en bleu et les filles en rose est une construction culturelle. Le problème des gender studies est que ce n'est pas une nouvelle discipline qui étudierait ses objets avec de nouvelles méthodes, mais une non-discipline qui n'a pas de méthode propre et ne fait qu'appliquer toujours les mêmes questions ou problématiques à ses objets d'étude. Je force volontairement le trait, et il y a bien sûr d'excellentes études dans le domaine des gender studies, qui ont apporté un vent frais et vivifiant dans des humanités souvent encroûtées dans une érudition parfois stérile. Mais pour quelques travaux stimulants, combien d'articles superficiels qui se contentent d'appliquer les grilles de lecture féministes à leurs objets, quitte à masquer, pour les arts et les lettres notamment, le mouvement et la logique internes à ces objets? A quoi sert une énième lecture gender de Virginia Woolf si elle n'est pas attentive au mouvement du texte, à son style, à sa dimension poétique? Donc, oui aux gender studies, mais dans le cadre méthodologique des "vieilles" disciplines (histoire, lettre, sociologie, etc.) qui ont fait leurs preuves : oui à ces "nouvelles" problématiques et questions, mais pas à la création d'une nouvelle discipline qui, par son interdisciplinarité, n'a de fait pas de méthode propre. Oui aux gender studies comme questionnement, non aux gender studies comme discipline institutionnalisée. Si les gender studies veulent conserver leur dimension interdisciplinaire qui fait leur force, leur originalité et leur vie, elles doivent à mon sens éviter de s'institutionnaliser et de devenir un bâtiment à part entière au sein du campus des humanités.
    Je dis ça aussi parce que l'interdisciplinarité, je connais bien vu mon sujet de thèse, mais que j'ai bien vu la différence, dans mon domaine, entre des études culturelles assez superficielles et peu rigoureuses faites par des anglicistes et des approches plus pondérées et prudentes, et donc plus "scientifiques", faites par des historiens du livre, historiens de l'art, philologues, anthropologues, etc. Les gender studies, comme les cultural studies, n'ont pas de méthode propre. C'est ce qui fait leur force (elles sont plus libres quant au choix de leurs objets et de leurs problématiques) mais aussi leur faiblesse (elles manquent parfois de structuration épistémologique).

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    1. C'est marrant comme tu mets le pied dedans en parlant de « gender studies » et pas juste d'« études de genre », comme je l'ai dit le champs lexical est bien un marqueur de l'opposition aux études de genre :).


      Je ne me rends pas compte à quelle point il y a ressassement ? En fait l'opposition systématique sans argument oblige souvent à répéter la même chose. Je ne connais que mal les études de genre finalement, mais je trouve les arguments contre de plus en plus fallacieux.


      Je peux te retourner tes arguments avec ta discipline (quelle attaque basse ;)). N'y a-t-il pas en histoire de l'Art, d'énièmes radotages sur les même sujets ? L'histoire de l'Art n'aurait-elle pas dû se faire dans le cadre de l'Histoire et être rattachée à l'Histoire, comme ces connards d'archéologues qui prétendent pouvoir faire leur soi-disant petite science dans leur coin alors que finalement, la seule vraie science derrière tout ça, c'est l'Histoire ?


      Combien d'articles pourris et stériles dans tous les autres domaines où on ne remet pas en cause l'angle d'attaque ? Pourquoi toujours remettre en cause l'angle d'attaque du genre là où on ne le fait pas ailleurs ?


      Toi(attaque personnelle, maintenant tu ne doutes plus de ma méchanceté ;)) qui a été critiqué pour un travail tiers histoire de l'art, tiers littéraire, tiers histoire du livre, quelle méthode as-tu utilisé ? Celle de l'historien de l'art, de l'historien du livre ou du littéraire ?


      Sur le fait que les études de genres deviennent une vraie discipline à part entière. Je t'avoue que je m'en fous un peu et je ne vois pas le problème. S'il y a suffisamment de chercheurs suivis, de travaux de recherche, pour en dégager une matière à part entière, ça ne me pose pas plus de problème que la séparation de l'histoire de l'art, de l'archéologie de l'histoire, de la philologie de la linguistique ou des lettres.


      C'est l'heure désormais du procès d'intention :). Je pense que ton opposition à la création d'une discipline n'est liée qu'à un désintérêt personnel, voire une opposition aux études de genre. Tu cherches à limiter le plus possible leur influence, il devient difficile de le faire comme champ interdisciplinaire, il est toujours possible de le faire comme discipline. Je ne comprends pas pourquoi ne pas juste laisser pisser ? Pour conserver des fonds pour une énième recherche pourris d'une discipline historique qui fut issue d'une autre à un moment ?

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  2. Je parle de gender studies parce que ce type d'études est, comme tu le sais bien, d'origine anglo-saxonne, et de fait peu m'importe la manière dont on les appelle, c'est leur contenu qui m'intéresse.
    Je passe sur les attaques personnelles et procès d'intention (:-)), simplement je précise que j'ai dans ma thèse essayé autant que faire se peut de respecter les méthodologies propres à chaque discipline "d'emprunt" (notamment l'histoire littéraire et l'anthropologie culturelle), le cadre général étant, pour être honnête, celui de l'histoire du livre plutôt que l'histoire de l'art. Toujours est-il que l'histoire de l'art est en effet une discipline au carrefour de plusieurs autres, mais surtout de l'histoire et des lettres: la soumettre à la seule discipline historique reviendrait à nier une grande partie de son histoire et de sa spécificité, qui est l'analyse esthétique, dont les méthodes peuvent être comparées à celles utilisées dans l'analyse littéraire. Pour les rapports à l'archéologie, c'est un tantinet plus compliqué :-)
    Mais bref, quoi qu'il en soit, je disais simplement qu'une discipline supposait un ensemble de méthodologies spécifiques, et qu'il me semblait (mais je peux me tromper) que les gender studies, tout comme les cultural studies en général, pêchent justement par cette absence relative de méthodologie, et ont du coup (du moins c'est mon impression) peu de légitimité à se poser en tant que discipline académique autonome. Cela n'a donc rien à voir avec le nombre plus ou moins important d'études médiocres, qui en effet existent quel que soit l'ancrage disciplinaire des travaux universitaires. Encore une fois, ma critique est épistémologique, et pas du tout morale.

    Alors pourquoi ne pas laisser pisser, comme tu dis? Parce que justement, je ne voudrais pas que le critère moral d'utilité éthique des gender studies fasse passer outre les éventuels manques ou faiblesses épistémologiques de ce champ d'études, qui nuisent de fait à sa réputation en tant que science. Humaine, soit, mais science quand même. C'est le non-respect de la méthodologie de l'historien qui entache les travaux des partisans de l'existence d'un génocide vendéen. Mais comment fait-on pour séparer le vrai du faux dans une discipline qui n'aurait pas de méthode propre, mais seulement des problématiques et des questionnements spécifiques (qui par ailleurs, mais c'est un autre problème, cachent souvent autant de réponses implicites)?
    Mais peut-être est-ce moi qui me trompe par méconnaissance des gender studies, et mon impression est-elle faussée du fait que je les juge du point de vue des vieilles disciplines académiques continentales. Sans doute existe-t-il un fait genré à côté des faits sociaux, historiques, artistiques, mais je ne peux personnellement pas m'empêcher de penser que ce fait genré est, avant d'être un fait genré, un fait socio-historico-culturel, et donc que les vieilles méthodes ont tout à apporter à l'étude de cet objet afin de constituer celui-ci, justement, en véritable objet d'étude scientifique, plutôt que de le laisser en pâture à une réflexion souvent vague et convenue sur la dissymétrie des rapports entre les sexes.

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    1. Et je précise, à propos du "pied dedans", que justement je n'ai pas parlé de "théorie du genre", et donc que je ne tombe pas sous le coup de la critique d'une mauvaise traduction de "gender theory" vu que 1/ j'ai parlé de gender studies et pas de gender theory, et 2/ je n'ai justement pas traduit.
      :-)

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    2. Je n'ai parlé à aucun moment dans ce texte du critère moral d'utilité éthique des études de genre. J'ai effectivement abordé des notions proches par ailleurs, mais ce n'est pas mon propos ici. J'en parle en tant que science, en la détachant de ses applications, utilités etc.

      Si les études de genre donnaient des choses convenues elles feraient sans doute moins hurler :).

      Pourquoi des études de genre en tant que discipline ne pourraient pas emprunter des méthodes de plusieurs disciplines comme tu l'as fait toi même ? Pourquoi interdir à une discipline les outils d'une autre ? En quoi les études de genre n'utilisent-elles pas des méthodes valides dans d'autres disciplines ? En quoi les études de genre seraient invalidées par l'utilisation de méthodes d'autres disciplines.

      L'argument du fait socio-historico-culturel est intéressant. Notamment parce ledit fait doit forcément utiliser les méthodes de plusieurs sciences pour être étudiés. On peut ensuite dire : pour étudier un fait socio-historico-culturel il faut utiliser telle méthode de la socio, telle méthode de l'histoire, telle méthode de l'histoire de l'Art etc. Le regroupement de l'ensemble de ces méthodes se fait dans le cadre d'une discipline que l'on appellerait (dans notre cas) : études de genre. Je ne vois pas ce qui pose problème. Peut-être que la dite discipline n'a pas encore de méthodes originales, mais c'est peut-être parce qu'elle a besoin de s'émanciper pour le faire. Peut-être que c'est l'assemblage de plusieurs méthodes non utilisées auparavant qui la rend originale, légitime. En fait je pense que lorsque le problème devient de plus en plus gros, de plus en plus étudié, de plus en plus interdisciplinaire, il devient plus facile d'émanciper une discipline.

      Le problème des guerres de Vendée et du génocide est double : juridique et historique. On doit emprunter des notions des deux disciplines pour pouvoir décider s'il s'agit d'un génocide ou non. Les tenants du génocide n'ignorent pas seulement les sources et les travaux historiques, mais aussi la définition juridique du génocide. Le sujet du génocide ne semble pas suffisamment étudié, ou éloigné des deux disciplines pour que l'on se lance dans des Genocide Studies :).

      On a vite un pied dans plusieurs matières, je ne suis pas choqué par l'idée de sélectionner des méthodes de plusieurs disciplines pour créer une discipline. C'est le cas de la Kunstgeschichte (oui c'est d'origine allemande appelons la en allemand :)) par exemple (l'article Wikipedia est mignon d'ailleurs il utilise des arguments proches des tiens sur les études de genre pour expliquer pourquoi ce n'est pas considéré comme toujours légitime). Allez ! Je retourne à ma computer science ^^.

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    3. :) merci en tout cas pour tes commentaires. Je vais m'acheter Introduction aux études de genre pour essayer de mieux comprendre tout ça.

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    4. Ce que tu dis est probablement vrai, mais je n'ai qu'assez peu rencontré d'études culturelles empruntant de manière satisfaisante les méthodes historiques, sociologiques, etc. C'est sans doute par ce que je méconnais ce champ plus que parce que ce dernier est en soi fautif, mais il n'empêche que cela me rend particulièrement prudent à leur égard. Ceci dit, il faudrait vraiment avoir plus lu que je ne l'ai fait pour faire une critique intéressante de ce champ académique. Mais comme j'ai encore plein de trucs hyper intéressants à lire en histoire, en histoire de l'art et en littérature, ce sera pour une autre vie :-)

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